D’outre-monde : du fantôme de la perte vers une mémoire de l’oubli, ou le moteur caché de la relation à l’autre
DOI :
https://doi.org/10.29173/af6657Résumé
En situation postcoloniale, la critique des rouages de l’aliénation coloniale débouche sur une remise en cause radicale de la notion d’identité territoriale, elle qui, invariablement, clive, et hiérarchise, entre même et autre, comme entre centre et périphéries. Comme l’entend Edouard Glissant, il s’agit désormais de s’affranchir de l’arbitraire de telles frontières stéréotypiques, et stéréotopiques, pour inaugurer une relation au monde nouvelle : celle d’une créolisation de l’espace – géographique, linguistique, identitaire – qui consacre l’avènement de la poétique de la Relation. Mais ce vœu n’est-il pas utopique ? A ne vouloir voir dans l’expérience du décentrement que le moteur magnifié de l’ouverture à l’autre, les tenants de la créolisation se font soudain singulièrement oublieux de l’épreuve en quoi elle consiste, et que, pourtant, le colonialisme a porté à son acmé. Or, comme le rappelle Roger Toumson (1998), la réalité antillaise est toujours aux prises avec la symptomatique du désillusionnement identitaire auquel elle fut contrainte. Toutes aussi utopiques y sont donc l’« identité-racine » décriée que l’« identité-rhizome » prônée. Pire : dans sa volonté de rejet de la première, la célébration de la seconde risque fort de reconduire le déni de la perte subie, et de conforter ainsi l’effet de pouvoir du modèle qu’il s’agissait de renverser. Or, s’il est un auteur qui ait rendu sensible, et pensable, cette perte, c’est Césaire – lui dont la Négritude signifiait, précisément, la filiation rompue à l’Afrique. A travers La tragédie du roi Christophe, nous verrons donc comment l’auteur nous invite à en faire la catharsis, et ce non pour l’exorciser, mais, au contraire, pour lui donner son lieu de mémoire. Une « mémoire de l’oubli » (Agamben) seule susceptible de sauver la relation à l’autre du fantôme de la perte qui la hante à son insu, pour s’en faire le moteur – mais cette fois explicite.
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© Soraya Behbahani 2010
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